mercredi 9 juin 2010

Archive - La Tchatche Connection

«Pour le plaisir, pas de ramage, ni de fromage/ De raccolage, je prends le mic pour faire des dommages/ Et j'assure plus que l'UAP, mon style est impec/ Le sec, à la tech, mec déclenche le plan Orsec.» (Akhenaton, La Face B, album «Métèque et Mat»)

«Il y a une générosité de langage que j'ai toujours constatée chez les Marseillais, ce sont des gens qui procèdent par images et peu par clichés. Ils adorent la langue, ils ont le sens de la «tchatche». C'est très bien, c'est très important.». Ainsi s'exprime l'écrivain breton Yann Quéffélec, interrogé à propos du groupe phocéen IAM, dans «IAM, le livre», ouvrage superbe et passionnant* récemment paru, qui leur est consacré. Il y a trois ans, le prix Goncourt 1985 avait rencontré Chill, alias Akhenaton, alias Abd-El-Hakêm, alias Philippe Fragione, l'un des membres fondateurs de IAM, le temps d'une virée nocturne en voiture et d'une halte au pied de la Bonne Mère, dans le cadre d'une émission télévisée sur France 2 («Envoyé spécial»).

IAM explosait alors littéralement avec son tube «Je Danse le Mia» (extrait de l'album «Ombre est Lumière»), solidement installé à la première place du classement des ventes du Top 50. Yann Queffelec venait, lui, de publier Disparue dans la Nuit, dont l'action se situe justement dans les quartiers Nord de Marseille. Pour s'imprégner de la ville, se «l'approprier» à sa manière, il y avait auparavant séjourné plusieurs mois.

La rencontre avec Chill reste un événement magnifique pour l'écrivain, qui revient dans cette même interview sur sa découverte à l'époque de Marseille et de l'univers IAM: «J'entends souvent cette énormité que la langue française est sur le déclin, qu 'elle est vieillissante, qu'on ne sait plus la parler, qu 'elle n'arrête pas d'emprunter à l'anglais. Moi, je pense exactement le contraire. Grâce à des chanteurs comme ceux d'IAM et à d'autres, comme MC Solaar, qui est vachement bon, le français réinvente non seulement son vocabulaire mais ses rythmes, sa cadence. Il devient un langage extrêmement moderne qui ne renie pas son héritage classique, et qui, en même temps, acquiert un sens du rythme grâce à ces gens qui chantent dans leur langue, qui ont appris à briser les mots, à les réformer, à les aimer, qui en font savourer la volupté à ceux qui les écoutent. Grâce à eux, je trouve que c'est une langue qui renaît complètement depuis quelques années.»

«Le monde de l'absurdité devien t-il un bastion ? Naître ou ne pas naître ? Telle est la question.» («Le calme comme Essence»)

Car le rap représente bien aujourd'hui une formidable opportunité pour la langue française: «Les rappeurs français sont sans doute les meilleurs paroliers de la chanson d'aujourd'hui», écrit sans détour Le Monde lorsque paraît en 1995 «Métèque et Mat», l'album solo d'Akhenaton. Il aurait paru injuste de faire l'impasse sur ce style dans ce dossier consacré au joueurs de mots, quand beaucoup de leurs plus brillants représentants s'expriment aujourd'hui en rappant. Parmi eux, les marseillais de IAM représentent certainement un cas particulier. Né à la fin des années 80, le groupe, dont plusieurs membres appartenaient auparavant à l'informel «criminosical posse» (le posse qui tue avec la musique!) s'établit à la sortie du métro Vieux-Port, rassemble six rappers remarquablement talentueux: deux chanteurs, Chill (Akhenaton) et Jo (Shurik'N' Chang-Ti) qui se définit comme le «rimeur à gages de Marseille», Eric (Kheops) le DJ, Pascal (Imhotep) l'architecte musical; enfin les deux danseurs Malek (Malek Sultan) et François (Kephren). Tous résidents de la planète Mars-eille. (On vient de Mars/ Ce n'est pas une farce).

D'une pirouette avec les mots, le groupe a revendiqué dès le départ son originalité et sa différence: ses membres sont bien des extra-terrestres dans le paysage du hip hop français, revendiquant haut et fort leurs origines méditerranéenes (lire: loin de Paris et d'un certain show-bizness...), adeptes des principes du «clair-obscur musical», selon la description proposée par les Inrockuptibles, qui mélange la galéjade et la gravité, la décontraction et la colère, les vices et les vertus. Loin aussi de l'écriture approximative et souvent caricaturale du rap français que l'on sert désormais sur les grandes ondes.

"L'Ecole du Micro d'Argent", leur troisième album qui vient de paraître, enfonce le clou verbal. IAM se démarque une nouvelle fois avec des textes plein de verve et d'images, sérieux mais jamais ennuyeux, profonds sans jamais s'enliser dans les clichés, et souvent drôles dans une profusion toute méridionale. Arrogants bien entendu, dans la tradition de l'ego-tripping du rap qui consiste à se mettre avantageusement en scène ("Lyriciste grimpant, les compétiteurs saignent/ Car j'absorbe plus de trucs que la sphaigne daigne écouter/ L'oscillateur de tête, le boss, le pivot/ Chill est le Suprême, poto, y'a pas de rivaux", dans Bouger la Tête), mais dotés aussi d'un sens rare de l'auto-dérison ("Je suis peut-être maigre comme un stockefishe/ Et sans les décoller, je passe derrière les affiches/ C'est vrai, il me manque bien quelques kilos/ Et quand je suis en maillot, on dirait une radio" reconnaissait Akhenaton dans son effort en solo). Le tout supporté par une musique et des rythmes souvent imparables.

Depuis toujours, on associe Marseille avec la parole, l'accent qui chante, les histoires, l'invention permanente de mots et d'expressions. IAM confirme,avec des gadji, phrases renze, le mia, mélodies trunkatées, Bruce L.A.I, les 51-addict, tintanos, zgaigues, etc.: «Ce n'est pas une déformation du français., explique Jo. C'est un langage qui s'invente au jour le jour, et qui intègre et recycle des mots de racine espagnole, nord-africaine, italienne...».

Ecriture carrée, souligne par ailleurs Philippe Barbot de Télérama, à propos d'Akhenaton, avec pleins et déliés quand même, et de citer «le métèque qui a de la gueule»: "Eloignez-moi de la multitude pressée, préservez-moi de la solitude stressée". A propos de l'identité marseillaise exarcerbée du groupe IAM, c'est un autre rapper, MC Solaar, qui apporte cette explication parfaitement convaincante: «C'est dû à une frustration légitime. Que ce soit musicalement, culturellement, tout tourne autour de Paris. L'image qu'on a de de Marseille, c'est French Connection, c 'est «ils sont tous pareils, c 'est une terre de météque». A un moment, il faut réagir. Ça ne veut pas dire qu'on est nationalistes marseillais... Ça veut dire "je viens d'une ville et je ne représente pas toutes les tares que l'on est en train de raconter".

Finalement, il convient de souligner, comme le fait l'ouvrage que nous avons cité plus haut, la poursuite d'une véritable mission que se sont fixés les membres d'IAM, au delà du jeu des mots et du récit savoureux: expliquer, enseigner, partager l'arme de la connaissance, à l'instar d'un KRS One dans le rap américain. Sans jamais perdre le fil musical, ni se prendre trop au sérieux: "Refractaires au son de Mars et que ce flot de rimes brime/ Flippez mais dites pourquoi vos bobinent dodelinent..." IAM ? Imparable, on vous dit.
«IAM, le livre», éditions Plein Sud, est l'oeuvre collective d'une équipe de quatre personnes: deux journalistes, Fred Guilledoux et Gilles Rof, du graphiste Stéphan Muntaner et du photographe Didier Deroin. Objectif avoué de leur entreprise: «raconter l'histoire d'IAM avec précision et honnêteté pour mieux saisir les enjeux de la culture hip hop en France».
Source: ici

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